L’espace public appartient à tous et toutes, dans l’imaginaire collectif la ville serait donc neutre. Cela paraît plutôt logique mais force est de constater que l’architecture urbaine comme beaucoup de domaines n’échappe pas aux biais sexistes. Intégrer la dimension de genre dans l’aménagement, la planification et l’organisation de la ville est un énorme défi qui commence peut-être dans un coin caché de nos communes : les toilettes publiques.
Selon un sondage réalisé par Hygiene Matters en 2016, 41% des français n’utilisent plus les toilettes publiques. Parmi les personnes interrogées, 53% des femmes se méfient des toilettes publiques. Quand on sait que certaines villes peuvent consacrer 2 millions d’euros chaque année pour installer et entretenir leurs sanitaires c’est assez dommage d’imaginer que près de la moitié de la population n’utilisera pas ces équipements. Que ce soit pour des raisons d’hygiène ou d’expériences parfois déplorables, les toilettes publiques ne sont pas exemptes de critiques. On pourra d’ailleurs aussi parler de l’impact écologique majeur de ces installations très gourmandes en eau.
Dans cette tribune je voudrais mettre en relief les difficultés que vivent spécifiquement les femmes dans les villes et qui expliquent en partie la défiance des françaises envers les toilettes publiques.
Une organisation sexiste des villes
Avant d’aller plus loin, il peut être utile de rappeler que l’espace public désigne l’ensemble des espaces destinés à l’usage de tous, sans restriction. L’espace public rassemble aussi bien les espaces de circulations que les espaces de rassemblement, des voies de circulation aux parcs et jardins en somme. Pour qu’un espace public soit véritablement accessible à tous, la condition de gratuité est centrale.
L’espace public appartient donc à tous et toutes, pourtant il a été historiquement créé par des hommes en favorisant leur utilisation. Malgré certains progrès, des inégalités persistent. Il est toujours plus facile d’uriner en ville si on peut le faire debout dans un urinoir que si on a besoin d’intimité et de faire pipi assise.
En moyenne nous devons uriner 4 à 8 fois par jour.
Si ce n’est pas un problème pour les hommes qui peuvent se soulager dans les urinoirs accessibles et gratuits à tous les coins de rue, les solutions pour les femmes relèvent plus de la débrouille.
Il y a bien évidemment des toilettes publiques dans les rues : on en dénombre environ 400 gratuites et accessibles 24h/24h à Paris. Cependant pour une ville de 2,2 millions d’habitants cela paraît peu, surtout si on imagine que toutes ces toilettes ne sont pas toujours fonctionnelles.
Il y a aussi des toilettes publiques payantes, mais cela implique que l’accès aux personnes n’en ayant pas les moyens est limité. À 0,60ct en moyenne 4 à 8 fois par jour, cela commence à chiffrer pour répondre à un besoin naturel.
Les femmes ont vite compris que si elles voulaient profiter de l’espace public elles allaient devoir prendre leurs dispositions avant de sortir de chez elles. Nous avons appris à nous retenir pendant des heures, ou à tout simplement ne pas consommer de boissons pour ne pas avoir à uriner. Des pratiques à risque qui provoquent parfois des infections urinaires ou de l’incontinence qui nécessitent par conséquent de se rendre plus fréquemment aux toilettes. Un cercle vicieux que certaines tentent de parer en se rendant dans des cafés ou des restaurants… à condition de consommer ! Avec la fermeture de ces établissements pendant la crise du Covid le manque de toilettes publiques est encore plus palpable.
Des schémas qui se répètent depuis l’enfance
Dans un sondage réalisé par Harpic à l’occasion de la Journée Mondiale des Toilettes, on apprend que 81% des enfants se retiennent « souvent » ou « de temps en temps » d’aller aux toilettes. Un chiffre loin d’être anecdotique quand on se rappelle que nous allons aux toilettes 4 à 8 fois par jour ! Comment se focaliser sur son éducation pendant une journée de 8h de cours avec une envie pressante que l’on devra réfréner jusqu’à 16h30 au moins ? Rendez-vous compte, des jeunes filles âgées entre 12 et 16 ans témoignent de fuites urinaires pendant les cours de sport parce qu’elles ne vont pas aux toilettes assez fréquemment !
Uriner est un besoin naturel au bon fonctionnement du corps bien trop souvent ignoré. La persistance de techniques mises au point pendant l’enfance fait partie intégrante de l’expérience féminine. Toutes les femmes le savent, mais si vous n’êtes pas concerné, demandez autour de vous : je suis convaincue que les femmes de votre entourage se sont retenues des journées entières en étant à l’école. C’est là que nous avons appris à tenir une journée sans nous hydrater, et là que nous avons élaboré nos techniques pour nous retenir des heures durant. Nous avons toutes vécu des moments de panique à la recherche de toilettes en ville.
Comment est-ce possible qu’en 2021 cette expérience soit toujours universelle ?
Une évolution en cours
Heureusement des solutions existent. De plus en plus d’acteurs prennent conscience de ces difficultés et des conséquences qu’elles ont pour les femmes.
Des startups prometteuses se sont faites ambassadrices de la “toilet tech” qui introduit de l’innovation au coeur d’un domaine boudé jusque là. Les acteurs établis continuent leurs efforts pour rendre l’expérience aux sanitaires plus agréables et adaptées. Les communes investissent pour renouveler leurs installations sanitaires et permettre une meilleure inclusivité.
Il nous appartient désormais de soutenir ces initiatives et de demander là où ce n’est pas le cas, plus de toilettes, et plus de solutions pour les femmes dans les villes. Transformons notre indignation en action ! Ce combat n’est pas superflu, ou à relayer au second plan c’est plus que jamais une question d’égalité entre les femmes et les hommes, et de santé publique. Amenons ensemble le sujet des toilettes sur la place publique.
Les urinoirs développés par madamePee
Par Nathalie des Isnards, Fondatrice de madamePee, la première urinoire pour femmes.